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    LA POESIE EST UN VILAIN DEFAUT

     

    Léon Helios Desources

     



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    PROLOGUE

    Le Rhin, le Rhin est ivre où les vignes se mirent

     

    - On n’en tirera jamais rien de bon ! 

    -Mais laisse-le donc, Philippe… 

     

    Léon n’entendait rien. Ou peut-être voulait-il, volontairement, ne rien entendre. Lui-même ne savait plus trop. Toujours étant qu’il était là, installé dans la pièce juste à côté, ses petites fesses d’enfant posées sur le moelleux canapé, l’air béat, souriant, ailleurs et les yeux plongés dans un bouquin. Il n’était pas plus haut que trois pommes, neuf ans tout au plus. Ses cheveux bruns, en bataille, désordonnés lui tombaient dans les yeux, dans le cou et se dressaient sur sa tête comme des lances flammes indisciplinés. Il avait les jambes croisées, le dos un peu penché et rien au monde n’aurait pu le déconcentrer, rien n’aurait pu attirer son attention ailleurs qu’entre ces lignes. Non rien, n’aurait pu le faire sortir de ces mots, de ce voyage si parfait, si merveilleux. Rien ! Rien, pas même les appels de son père, les appels de sa belle-mère, les cris de son père ou la douce voix de sa belle-mère le défendant un peu. Non, l’enfant se contentait d’être sans exister réellement, comme transparent, comme si lui-même voulait soustraire au monde sa propre existence floue et insipide. Il souhaitait ne plus être et se confondre entièrement avec les pages de son livre, s’imprégner dans ces lettres si belles, si régulières et si calmes. L’enfant, à l’instant-même, n’était plus que l’ombre d’une ombre. Dissimulé dans le fauteuil, il avalait les mots, et les mémorisait plus vite que son cerveau n’avait le temps de les comprendre. Et le monde aurait pu s’arrêter de tourner, le sang arrêter de couler, le ciel arrêter de gronder, l’homme arrêter de tuer, il n’aurait rien remarqué, rien du tout parce qu’en ce moment même, la vie n’avait besoin d’exister qu’au travers ces pages. L’existence prenait forme à travers le livre et petit à petit les formes se dessinaient dans son esprit, les visages apparaissaient dans son imagination et se confondaient avec ces mots qui dansaient devant lui, qui traçaient des lignes et tournaient dans sa tête, tournaient en boucle, lui montant au cœur, lui prenant les tripes. Il souriait, bêtement, il souriait alors que les vers lents du poème d’Apollinaire s’inscrivaient en lui…

     

    - LEON, POUR L’AMOUR DU CIEL, VIENS MANGER ! 

     

    Il sursauta vivement ! Regardant les alentours comme si il s’était perdu ! Il semblait surgir d’une autre galaxie, d’un autre univers. Sa respiration lui parut soudainement difficile voir même peu naturelle. Il avait l’impression de devoir se forcer pour faire entrer l’air dans ses poumons. Il ne reconnaissait plus l’endroit où il était assis, seul son livre, entre ses mains, lui semblait réel et normal. Et puis, petit à petit, il retrouva ses esprits, le monde tel qu’il était reprit forme dans sa tête, l’espace se redéfinit autours de lui lentement mais sûrement et il comprit, il se souvint subitement de l’endroit où il se trouvait : chez lui, dans son salon, dans son canapé ! Il soupira de soulagement et ferma doucement son livre avant de le déposer précautionneusement, comme si il eut s’agit d’un verre en cristal, sur la table basse. Il s’avança alors et se dirigea vers la cuisine. L’heure était de vivre ici bas, d’aller manger, se nourrir et tandis que ses pas le guidaient automatiquement, l’air du poème fraîchement lu se chantait dans sa tête, comme une frêle mélodie d’hivers : « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme… ». Il arriva dans la cuisine, la tête dans les nuages, comme si par sa récitation interne, il en était revenu à vivre dans son monde, dans ce livre ouvert, il n’y avait encore pas si longtemps, sur ses genoux et dans lequel il s’était plongé jusqu’au dernier cheveu. Il s’installa à table sans un mot, dans le silence le plus complet et commença à manger, toujours sans un mot mais également sans un regard ni pour son père, ni pour sa belle-mère, ni même pour sa petite sœur qui elle, du haut de ses trois ans, babillionnait beaucoup. Il mangeait, c’était tout…


     -   Alors, Léon, qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui ?

    C’était la voix de son père qui s’insinuait doucement dans ses oreilles. Son subconscient en reconnut le timbre, le son mais pas la forme. Il n’entendait pas ce que son père lui disait, cela créait juste un son informe à l’intérieur de son tympan…Mais rien de plus alors il ne répondit pas, se contentant de manger tandis que la voix, à l’intérieur de sa tête, continuait de chanter le poème d’Apollinaire « … Ecoutez la chanson lente d’un batelier… ». Aucune réaction, aucun mot ne sortit de sa bouche. Son père soupira, marmonna dans sa barbe et après un regard réconfortant de sa femme, se mit à manger également, engageant la conversation ailleurs. Il supposait qu’il devait déjà être content que son fils mange aujourd’hui, que son fils se mette quelque chose de chaud dans le corps, revenant quelques instants sur terre…C’était déjà une amélioration, c’était déjà un peu moins inquiétant. Mais Philippe avait tort de se faire du soucis pour Léon car Léon se portait déjà très bien et ne s’était jamais aussi bien porté que depuis qu’il savait le trésor que renfermait les livres…Philippe parlait alors avec sa femme et sa fille, laissant son aîné vagabonder où bon lui semblait, où bon lui plaisait d’être…


     -   Après dîner, j’irai jouer un peu avec la petite dans le jardin mais après je dois travailler…Un plan à terminer ce week-end, absolument…J’irai dans le bureau !

    - D’accord chéri, si tu veux, je fais une tarte aux cerises pour cet après-midi, après tout, c’est le dessert préféré de Léon… 

    - C’est une très bonne idée…ça le fera peut-être sortir la tête de ces fichus livres…Il est donc tellement comme sa mère, déjà ! 

    -Cesse donc d’en parler ainsi…Et laisse le vivre, il n’est pas en mauvaise santé et n’est pas malheureux pour autant.

     

    Oh non, Léon n’était pas malheureux. Léon était même tout ce qu’il vivait de plus heureux sur cette terre. Il était libre de s’envoler plus haut que le monde entier, plus haut que les gens qui l’entouraient. Il se considérait déjà comme « celui qui sait ». Car il savait où se trouvait la vérité et où la vie prenait sens : à l’intérieur même des lettres. Car comme le disait Sallenave : « Les livres prennent sens grâce à la vie, mais la vie ne trouve de réel sens qu’à travers les livres ». Et c’était, en ce moment, la vie du petit Léon. A travers les vers de poésie, à travers ces petits alexandrins qui tels une musique rayonnaient dans sa tête et éclairaient le monde, lui permettant de le comprendre, d’enfin savoir ce que ce dernier valait, de quoi il était constitué…Ces petites mélodies dans sa tête : « ...Qui racontent avoir vu sous la lune sept femmes. ». C’était définitivement encré dans sa mémoire, ce poème d’Apollinaire, pour toujours et pour l’éternité, il ne pourrait plus jamais l’oublié…

     

    Le dîner s’acheva ainsi, sans plus de réaction de la part de Léon. Son père se leva alors et emmenant sa petite dernière dans le jardin, comme il l’avait promis quelques minutes avant. La belle-mère, elle, se contenta de se lever et de commencer à ranger la cuisine, à faire la vaisselle tout en réfléchissant à comment, elle allait occuper sa turbulente fille durant le reste de l’après-midi, une fois que son mari se sera plongé dans ses calculs, ses angles, ses équations, sa trigonométrie, dans ses plans…Et Léon ? Léon, lui, se leva, remerciant sa belle-mère, du bout des lèvres, pour le repas et il marcha, la tête haute, les vers dans la tête, vers le salon pour reprendre son livre et se replonger à nouveau dans ce que la vie avait créé de plus beau : la littérature…

     

    Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
    Écoutez la chanson lente d'un batelier
    Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
    Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

    Debout chantez plus haut en dansant une ronde
    Que je n'entende plus le chant du batelier
    Et mettez près de moi toutes les filles blondes
    Au regard immobile aux nattes repliées

    Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
    Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
    La voix chante toujours à en râle-mourir
    Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

    Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire*

     

     

    * G. APPOLINAIRE, Nuit Rhénane, Alcools.


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  • CHAPITRE PREMIER

    Demain dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne.

     

    C’était un triste soir d’hiver qui suivait de trois ans la naissance du jeune Léon et d’à peine un an, la naissance de son frère, le petit Isaac. Cela faisait bien un an d’ailleurs que les parents de ces deux enfants ne vivaient plus, qu’ils avaient mis leur histoire entre parenthèse car toutes leurs forces étaient rassemblées ailleurs, dans un combat qu’ils étaient les seuls à pouvoir livrer et qui devenaient de jour en jour plus difficile. Ils ne savaient plus où donner de la tête, ne savaient plus comment vivre après ce qui leur arrivait. La seule petite lueur qui leur restait encore et qui leur permettait de respirer, c’était ce que le commun des mortels appelait « L’espoir ». Car c’était effectivement leur seul rayon de soleil, ici bas, sur cette pauvre terre qui semblait leur en vouloir définitivement. L’espoir…Seul l’espoir leur permettait de survivre, de se lever le matin et d’essayer, ne fusse qu’une seule fois par jour, de sourire. Certes, ils ne rencontraient aucun problème avec leur premier enfant : le jeune Léon, âgé donc de trois ans aujourd’hui, au contraire. Le bambin courait partout, hurlait, chantait, une petite boule d’énergie, de vie. Un enfant joyeux, comme on en faisait plus, un enfant poli, bien élevé, sage et en bonne santé qui n’avait jamais besoin de rien et qui ne demandait rien. En revanche, comme si Dieu avait voulu leur punir d’avoir créé un enfant si merveilleux, leur deuxième bambin, lui, rencontrait des problèmes. Né prématurément, Isaac n’avait jamais cessé d’être malade. A la naissance, il avait eu de l’eau dans les poumons et depuis s’en suivaient détresses respiratoires sur détresses respiratoires et pneumonies sur pneumonies. C’était un cercle infernal duquel Philippe et Clémence ne pouvaient sortir. Ils étaient condamnés à vivre dans cette spirale sans fin, ce trou noir sans fond. Dès qu’Isaac allait un peu mieux, qu’il reprenait des couleurs, et eux l’espoir de voir leur enfant vivre enfin, il retombait irrémédiablement malade. Parfois juste des petits virus, des petites bactéries mais dès que les petites choses s’en allaient, les grandes revenaient en vitesse frapper à leur porte telle une malédiction dont ils ne pouvaient se défaire. Leur quotidien était devenu un enfer. Les médecins n’étaient jamais optimiste et à chaque seconde, ils allaient vérifier si Isaac respirait encore, si il vivait encore, si il n’était pas encore mort, terrassé par sa faible santé…Et, à chaque fois que leur enfant s’en sortait vivant, ils souriaient, reprenaient couleur et vie pour mieux retomber ensuite…Malheureusement…Il y eut un jour où ils allaient tomber pour ne jamais se relever…

     

    - Docteur, s’il vous plait…Comment va-t-il ? 

    - Monsieur Desources, je vous en prie, laissez-nous faire votre travail…On ne peut rien vous dire pour l’instant…Ils examinent votre fils… 

    - Oui, Chéri, par pitié, ré-assieds-toi sur cette chaise et patientons calmement.

    - Votre femme a raison, Monsieur Desources, votre stress n’aide pas. Vous feriez mieux de rentrer chez vous. Votre femme a besoin de sommeil et votre fils, Léon aussi. Regardez le, comme il ne tient plus debout ! Nous vous appellerons dès que nous avons des nouvelles !

     

    Philippe Desources ne savait pas sur quel pied danser ! Il avait le cœur en miette à cause de son enfant, Isaac, qu’ils avaient à nouveau dû emmener en urgence à l’hôpital suite à une détresse respiratoire et il ne pouvait s’empêcher de trembler et en même temps, il devait se montrer fort pour soutenir sa femme dont il voyait déjà les larmes de peur perler aux coins des yeux…Et son fils, son autre fils, Léon, si courageux d’être là, debout avec eux. Lui qui, pas plus haut qu’une petite souris, comprenait tout et regardait également ses parents avec des yeux inquiets. Lui non plus, ne voulait pas perdre son frère. Léon avait besoin de repos. Philippe Desources soupira alors et s’installa aux côtés de sa femme. Il prit son fils sur les genoux et, tout en lui caressant les cheveux et en le serrant très fort contre lui, se mit à réfléchir en silence. Au bout d’un moment, il se releva, Léon, dans les bras et sortit de sa poche ses clefs de voitures. Il les tendit à sa femme et lui dit d’une voix douce :

     

    - Amour, tiens, prends les clefs de la voiture. Il est minuit passé, Léon a besoin de sommeil. Rentrez dormir, toi et lui. Moi, je reste ici pour veiller sur Isaac et je vous appelle dès que j’ai des nouvelles…D’accord ? 

    - Je… 

    - S’il te plait, mon ange, ne discute pas…Regarde Léon, il n’en peut plus ! »

     

    Clémence finit par acquiescer et obéir à son mari. Elle savait au fond d’elle-même qu’il avait raison, que cela ne servirait à rien qu’ils restent là tous les trois à attendre dans les nerfs, dans le stress. Elle serait bien plus utile en pleine forme et reposée lorsqu’il faudrait s’occuper de son fils, qu’encore une fois, les médecins allaient sortir d’affaire, elle n’en doutait pas et ne voulait pas en douter. Et puis, l’état de santé de leur cadet ne justifiait en aucun cas de cesser de s’occuper de l’aîné, qui lui aussi n’était encore qu’un petit bébé finalement qui avait encore besoin de ses parents, d’amour, de tranquillité, d’affection et de sommeil, surtout de sommeil. Elle se força alors à sourire et prit dans ses bras le petit Léon, déjà un peu trop lourd pour elle. Elle embrassa son mari et dans un dernier regard pour le couloir où les docteurs avaient emmené son petit bébé d’un an, elle s’en alla, rentra chez elle en serrant fortement contre elle son premier fils qu’elle aimait plus que tout…Elle pénétra dans sa chambre, couchant Léon à ses côtés dans le lit et plaçant sa douce tête sur l’oreille, elle réussit enfin à s’endormir, bercée par la respiration rassurante de l’enfant qui, à côté d’elle, avait déjà rejoint Morphée.

     

    Clémence Desources fut tirée de son sommeil une dizaine d’heures plus tard par la sonnerie du téléphone. Elle se retourna vivement dans son lit, jeta un petit coup d’œil à Léon, encore endormi et se leva en vitesse pour aller décrocher l’engin infernal, espérant entendre la voix de son mari au bout du fil qui lui annoncerait qu’elle n’avait plus à s’inquiéter, qu’Isaac était tiré d’affaire, qu’il était stable et respirait encore. Seulement, en décrochant, se furent des sanglots qui lui vinrent aux oreilles et pas n’importe quels sanglots : ceux de l’homme qu’elle n’avait jamais vu pleureur, le cartésien, mathématicien qui rejetait toute forme d’émotion, son homme à elle sanglotait au bout du fil. Immédiatement, son cœur se sera, sa respiration se fit difficile et elle resta, là, sans rien dire, attendant que le couperet tombe…Ce qu’il fit, sans tarder : « Clémence, Amour, tu es là ? » Aucune réponse ne se fit entendre. La jeune mère ne trouva pas la force de répondre parce qu’elle savait quel orage allait s’abattre sur sa famille. « Je…Je…Isaac est mort ! »

     

     

    Les semaines passèrent mais ni Clémence ni Philippe ne surent où retrouver le gout de vivre. Comment survivre à la perte d’un enfant ? Comment ? C’était pour eux impossible, insurmontable et si ils tenaient encore debout, tous les deux, c’était uniquement pour Léon qui ne méritait pas de perdre ses parents, qui souffrait, lui-aussi, de tout cela. Ils n’avaient pas le droit de mourir, ils n’avaient pas le droit de se laisser aller parce qu’il leur restait un enfant qui n’avait rien demandé et qui, lui-aussi, payait le prix de la nature…Alors ils vivaient mais plus rien n’était pareil. Philippe avait même perdu le gout de l’architecture, des plans et repères, il avait arrêté de travailler, il vivait comme un légume dans son canapé, à regarder le temps passer, le monde fonctionner sans lui…Clémence, quant à elle, passait tout son temps au cimetière ou dans la chambre d’Isaac à contempler le berceau vide. Parfois, parfois encore, elle venait jouer avec Léon quand elle s’en sentait capable sinon tout le reste était automatique : se lever, s’occuper de Léon, faire à manger, se doucher, doucher Léon, faire à manger, coucher Léon, se coucher…Le reste n’était que survie et obligations…Le reste n’était qu’un fond de désespoir et d’amour pour le petit encore vivant…

     

    Et puis, un jour, un autre jour funeste, Clémence se leva et parti marcher longuement dans le jardin. Elle revint peu de temps après avec un bouquet de houx vert sauvage et de bruyère. C’était ses fleurs préférés, les fleurs de la liberté, les fleurs volontaires, symbole de force mais aussi de douleur. Elle décréta aller au cimetière et claque la porte derrière elle, embrassant juste une fois encore son mari et son enfant… Les jours passèrent alors et Clémence ne revint pas, obligeant Philippe à se secouer un peu. Il s’occupa alors patiemment et avec amour de son fils ainé, s’obligeant à paraître enfin le père qu’il avait toujours été. Il recherchait également sa femme, avait téléphoné à tous les commissariats, tous les hôpitaux mais rien…Rien si ce n’était ce bouquet de houx vert et de bruyère en fleur déposé sur la tombe d’Isaac Desources…Rien de plus…Plus aucune nouvelle, plus aucune nouvelle…Il continuait alors de vivre, commençant de plus en plus à se battre…Il fallait retrouver sa femme et pour cela, reprendre peu à peu des forces pour vivre, c’était ce dont elle avait sûrement besoin : de la force et il n’avait pas été capable de lui donner. Et puis, en faisant le ménage et en rangeant un peu la maison en désordre, un jour, il tomba sur un petit paquet dans son armoire, paquet sur lequel il était écris : « Amour, donne cela à Léon, dès qu’il saura lire…C’est mon dernier présent pour lui. Je suis désolée. Je vous aime ». Et il comprit qu’elle ne reviendrait jamais plus, qu’elle n’avait pas su vivre ici, dans cette maison, avec eux et que, dans sa douleur, elle avait préféré fuir et sans doute avait-elle eu raison. Sa fuite avait permis à Philippe de se relever, ce qu’il n’aurait jamais si elle avait continué à se traîner comme une épave en s’occupant de Léon. Cette fuite l’avait forcé à reprendre en main ses responsabilités. Ce qu’aucun d’entre eux n’avaient été capable de faire. C’était ce qu’il y avait eu de mieux à faire pour Léon. Alors, Philippe tint parole et dès que son fils fut capable de lire, il lui remit en main propre le paquet encore emballé. Léon l’ouvrit, calmement, serein parce qu’il était heureux aujourd’hui, même si il manquait des réponses à ses questions, même si l’histoire de sa famille restait encore pleine de mystères comme le départ de sa mère, la raison du sourire triste de son père, sa propre douleur parfois. Il ouvrit alors le cadeau de sa mère et découvrit un livre avec un petit signet. Il l’ouvrit à la page indiquée et put alors découvrir le secret de son existence, quelques mots pour une lecture de la vie :

     

    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.*

     

    * V. HUGO, "Demain dès l'aube", Les contemplations.


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  • CHAPITRE SECOND

    Mignonne, allons voir si la rose

     

     

    Et le temps passa ! Les heures, les jours, les semaines, les mois et puis rapidement les années s’écoulèrent…Jamais plus ni Philippe ni Léon ne reçurent de nouvelles de cette femme qui était pourtant, pour eux deux, le centre du monde, le tournant de leur univers mais il en était ainsi et Philippe finit par refaire sa vie avec une autre femme qui lui donna un autre enfant, une petite fille cette fois-ci, de six ans moins âgée de Léon. Elle fut tout de suite adorée par son grand frère mais celui-ci, maintenant renfermé, ne le montra pas plus que cela, inquiétant par son comportement son père et sa belle-mère qui le considérait comme son propre fils. Mais ils avaient du mal à comprendre que Léon n’était pas malheureux. Il avait bien sûr souffert inconsciemment de la mort de son frère et également du départ de sa mère et durant les années qui avaient suivis ces deux évènements, il avait bien souvent été insupportable, ingérable, hyperactif, piquant des crises de colère que le monde entier lui pardonnait et puis tout d’un coup : le calme plat, le repos absolu, l’apaisement final après la tempête, Léon semblait avoir trouvé la paix intérieure. Et cette retombée datait du jour exact où son père lui avait remis le précieux cadeau de sa mère qui lui apprit la vie alors que lui-même ne l’avait pas encore vécu. C’était ce qui avait remis les compteurs à zéro, ce qui était capable d’éponger sa souffrance, de le faire sourire mais son père n’avait pas compris ni même sa belle-mère ni personne d’ailleurs…Tous avaient pensé qu’il s’était simplement emmuré dans sa souffrance mais ce n’était pas le cas, il en était sorti, enfin, définitivement, il avait fait le plus gros pas en avant du monde aux côtés de Victor Hugo qui avait, avec un déchaînement d’émotions, réveillé le cœur du garçon…Depuis ce jour, Léon ne décollait pas de ses livres, de ses poèmes, de la littérature et, en grandissant, sa passion n’avait fait qu’augmenter inlassablement, au grand damne de son père qui n’avait jamais pu comprendre l’utilité des livres, leur importance dans le monde…Et c’est ainsi que la vie s’était déroulée. Léon était finalement devenu un adolescent avec ses joies, ses complexes, ses découvertes, ses idéaux, ses principes, ses passions, ses travaux scolaires, ses devoirs, ses études, ses amis et ses amours aussi…

     

    « Ainsi donc, Montaigne exprime dans cet essai une vision spécifique de l’amitié et il l’exprime en plus d’une manière particulière avec une structure propre. Quelqu’un pourrait-il m’en dire un peu plus là-dessus ? » Par simple hasard ou peut-être plus par habitude, le regard du professeur se déposa naturellement sur Léon, s’attendant à le voir lever le doigt comme une bombe en feu, s’attendant à le voir sortir de son petit monde pour participer à ce cours qu’il aimait tant et qu’il dirigeait presque de ses réponses mais rien ne vint…Léon, le seul élève en permanence actif de sa classe, le seul véritablement passionné par son cours qui ne ratait pas une occasion de participer ou d’entretenir de longs débats sur des analyses littéraires gardait la tête baissée, mordillant son crayons, les yeux fixés sur la page blanche de son cahier. Le professeur fronça les sourcils et détourna le regard, préférant ne pas insister au près de son petit protégé, et il se mit à chercher un autre volontaire, en vain…Il soupira alors et continua lui-même son cours sans plus rien chercher, sans essayer de comprendre ce qui arrivait à son élève favori…

     

    Léon, quant à lui, s’étonnait également. Il aurait voulu participer, agir, expliquer que Montaigne avait écris cette partie de ses essais suite à la mort de son ami et qu’il commençait par faire la distinction entre l’amitié telle que les gens l’entendent et telle que lui-même la perçoit, telle qu’elle est vraiment, selon lui. Il aurait voulu pouvoir donner toute la structure de l’essai, parler de la touche de stoïcisme propre à Montaigne que l’on y retrouvait mais il ne put rien faire du tout parce qu’en ayant relevé la tête quelques secondes avant que le professeur ne le regarde, il l’avait aperçu : elle…C’était une adolescente, une autre élève de l’école. Il ignorait tout d’elle et son prénom et sa classe et son âge…Il l’avait juste vu passer. Il la voyait passer tous les vendredis à la même heure alors qu’il se trouvait en cours de français : elle traversait la petite cours et il pouvait la voir marcher avec élégance, repousser les longs cheveux clairs vers l’arrière. Lui-même ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait…Lui qui ne faisait jamais attention à rien, ne remarquait jamais rien et qui devait subir pour cela les moqueries de ses camarades garçons qui ne comprenaient pas son manque d’intérêt total pour la gente féminine mais cette fille-là…N’était pas seulement jolie, cette fille-là réveillait quelque chose en lui. Et alors qu’il la contemplait tandis qu’elle marchait élégamment, quelques vers lui revinrent en tête « Mignonne, allons voir si la rose »… Il se plongea dans ses pensées et s’imagina longuement emmenant cette fille dans les bois, cueillir des roses sauvages et il lui réciterait tous les poèmes qu’il connaissait et lorsqu’il aurait fini, elle en redemanderait et il lui réciterait les siens alors, ceux qu’il avait écrit dans l’intimité de sa chambre ou de sa vie. Et elle les adorerait… « Qui ce matin avait déclose… »

     

    « Bien pour demain, lisez-moi l’extrait suivant et faîtes en moi une analyse complète ! Voici vos copies de la semaine précédente ! ». La voix du professeur sortit Léon de sa surprise alors que les copies vagabondaient de main en main, chacun prenant la sienne. Lorsque Léon reçu son interrogation, il jeta un rapide coup d’œil à la note : Un neuf ! Il la rangea dans son sac sans plus y faire attention que cela et sortit de la classe, les pieds lourds. C’était la fin de la journée, il allait rentrer chez lui…Tant mieux ou tant pis…Il ne savait pas trop. Les gens ne le comprenaient tellement pas. Ses camarades un peu rustres et brusques se moquaient sans arrêt de lui, ils avaient beau être également des latin-grec, ils ne comprenaient pas la passion de Léon et à la maison, c’était son père qui refusait de le comprendre. Son père qui jugeait que sans mathématique, on n’aboutissait à rien dans la vie ! Il disait que son fils ne s’en sortirait jamais si il restait ainsi plongé dans la littérature…Il n’en voyait pas l’intérêt, n’en n’avait jamais vu l’intérêt et rejetait toute forme de culture…C’était ce qui le rendait si aigri et Léon pensait souvent que si son père avait pris la peine d’ouvrir un petit bouquin de philo, de lire un texte de grec, il aurait compris que la beauté de la vie ne réside pas dans les chiffes mais dans les lettres et que le bonheur est à porté de main, il suffit de se relever et de profiter de chaque instant présent : « Carpe Diem quam minimum credula postero »…Ah si son père avait pu lire Horace, Platon, les stoïciens, ils ne seraient plus comme ces gens que Léon croisait : jamais heureux, toujours pressé, à râler sur tout…Léon n’était pas comme cela : Léon souriait, il souriait toujours et les gens ne comprenaient pas que Léon, grâce à ses livres,  réussissait à trouver le bonheur dans le simple fait de respirer…

     

    Il était enfin arrivé chez lui, après un court trajet en métro durant lequel il avait griffonné quelques vers dans son carnet. Il poussa alors la porte et s’en alla directement dans le salon saluer la famille. Sa belle-mère, qui était femme au foyer, était assise par terre devant la table du salon et aidait la petite sœur à faire ses devoirs. Il alla les embrasser toutes les deux avant de monter saluer son père dans son bureau. Il toqua à la porte et pénétra à l’intérieur de lieu. Il s’avançait toujours prudemment dans cette pièce, toujours inquiet et mal à l’aise d’être dans un repère aussi cartésien, aussi peu ouvert, aussi peu accueillant et aussi froid ! Il alla embrasser son père qui lui ébouriffa les cheveux et lui demanda d’attendre quelques instants qu’il puisse finir de tracer cette droite sur son plan. Léon obéit et patienta calmement.

     

    - Alors fiston, comment s’est passé l’école ? 

    -  Bien… J’ai eu Un 9 en français et un 8,5 en version grecque ! 

    - Léon…ça ne te mènera à rien tout ça… 

    - Papa, on ne va pas reprendre cette discussion ! 

    - Certes, va, va donc retrouver tes livres…Ils te perdront, fiston ! 

     

    Léon ne répondit pas et se contenta de quitter cette pièce au plus vite pour aller s’enfermer dans sa chambre. Il voulut se mettre directement à ses devoirs mais ce texte de Montaigne lui parut soudainement flou et cette lecture tellement secondaire en même temps que s’inscrivait dans son esprit l’image de cette fille à laquelle il n’avait jamais parlé et à laquelle il ne parlera jamais. Il la revoyait marcher, délicatement. Il revoyait son long visage aux traits marqués, sa ronde mâchoire, ses yeux bleus pétillants qu’il avait eu, un jour, la chance de croiser, ses longs cheveux blonds se tordre jusqu’au bas de son dos, il revoyait ses hanches, son sourire, ses bras, ses seins…Tout s’imposa soudainement en lui comme une évidence…Il se mit à rêver un peu…Les joies de l’adolescence et des premières amours…Peut-être n’était il pas si différent des autres. Il sourit alors, abandonna sa chaise de bureau et s’allongea sur son lit. Il ferma longtemps les yeux, imaginant à nouveau la silhouette gracile de cette fille et il se mit à réciter doucement :

     

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avait déclose
    Sa robe de pourpre au Soleil,
    A point perdu cette vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vôtre pareil.

    Las ! Voyez comme en peu d'espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las ! Las ses beautés laissées choir !
    Ô vraiment marâtre Nature,
    Puis qu'une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez, mignonne,
    Tandis que votre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez, cueillez votre jeunesse :
    Comme à ceste fleur la vieillesse
    Fera ternir votre beauté.*

     

    * RONSARD, "Mignonne, allons voir si la rose", Amour

     

    Chapitre troisième dans la semaine ;)


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