• CHAPITRE SECOND

    Mignonne, allons voir si la rose

     

     

    Et le temps passa ! Les heures, les jours, les semaines, les mois et puis rapidement les années s’écoulèrent…Jamais plus ni Philippe ni Léon ne reçurent de nouvelles de cette femme qui était pourtant, pour eux deux, le centre du monde, le tournant de leur univers mais il en était ainsi et Philippe finit par refaire sa vie avec une autre femme qui lui donna un autre enfant, une petite fille cette fois-ci, de six ans moins âgée de Léon. Elle fut tout de suite adorée par son grand frère mais celui-ci, maintenant renfermé, ne le montra pas plus que cela, inquiétant par son comportement son père et sa belle-mère qui le considérait comme son propre fils. Mais ils avaient du mal à comprendre que Léon n’était pas malheureux. Il avait bien sûr souffert inconsciemment de la mort de son frère et également du départ de sa mère et durant les années qui avaient suivis ces deux évènements, il avait bien souvent été insupportable, ingérable, hyperactif, piquant des crises de colère que le monde entier lui pardonnait et puis tout d’un coup : le calme plat, le repos absolu, l’apaisement final après la tempête, Léon semblait avoir trouvé la paix intérieure. Et cette retombée datait du jour exact où son père lui avait remis le précieux cadeau de sa mère qui lui apprit la vie alors que lui-même ne l’avait pas encore vécu. C’était ce qui avait remis les compteurs à zéro, ce qui était capable d’éponger sa souffrance, de le faire sourire mais son père n’avait pas compris ni même sa belle-mère ni personne d’ailleurs…Tous avaient pensé qu’il s’était simplement emmuré dans sa souffrance mais ce n’était pas le cas, il en était sorti, enfin, définitivement, il avait fait le plus gros pas en avant du monde aux côtés de Victor Hugo qui avait, avec un déchaînement d’émotions, réveillé le cœur du garçon…Depuis ce jour, Léon ne décollait pas de ses livres, de ses poèmes, de la littérature et, en grandissant, sa passion n’avait fait qu’augmenter inlassablement, au grand damne de son père qui n’avait jamais pu comprendre l’utilité des livres, leur importance dans le monde…Et c’est ainsi que la vie s’était déroulée. Léon était finalement devenu un adolescent avec ses joies, ses complexes, ses découvertes, ses idéaux, ses principes, ses passions, ses travaux scolaires, ses devoirs, ses études, ses amis et ses amours aussi…

     

    « Ainsi donc, Montaigne exprime dans cet essai une vision spécifique de l’amitié et il l’exprime en plus d’une manière particulière avec une structure propre. Quelqu’un pourrait-il m’en dire un peu plus là-dessus ? » Par simple hasard ou peut-être plus par habitude, le regard du professeur se déposa naturellement sur Léon, s’attendant à le voir lever le doigt comme une bombe en feu, s’attendant à le voir sortir de son petit monde pour participer à ce cours qu’il aimait tant et qu’il dirigeait presque de ses réponses mais rien ne vint…Léon, le seul élève en permanence actif de sa classe, le seul véritablement passionné par son cours qui ne ratait pas une occasion de participer ou d’entretenir de longs débats sur des analyses littéraires gardait la tête baissée, mordillant son crayons, les yeux fixés sur la page blanche de son cahier. Le professeur fronça les sourcils et détourna le regard, préférant ne pas insister au près de son petit protégé, et il se mit à chercher un autre volontaire, en vain…Il soupira alors et continua lui-même son cours sans plus rien chercher, sans essayer de comprendre ce qui arrivait à son élève favori…

     

    Léon, quant à lui, s’étonnait également. Il aurait voulu participer, agir, expliquer que Montaigne avait écris cette partie de ses essais suite à la mort de son ami et qu’il commençait par faire la distinction entre l’amitié telle que les gens l’entendent et telle que lui-même la perçoit, telle qu’elle est vraiment, selon lui. Il aurait voulu pouvoir donner toute la structure de l’essai, parler de la touche de stoïcisme propre à Montaigne que l’on y retrouvait mais il ne put rien faire du tout parce qu’en ayant relevé la tête quelques secondes avant que le professeur ne le regarde, il l’avait aperçu : elle…C’était une adolescente, une autre élève de l’école. Il ignorait tout d’elle et son prénom et sa classe et son âge…Il l’avait juste vu passer. Il la voyait passer tous les vendredis à la même heure alors qu’il se trouvait en cours de français : elle traversait la petite cours et il pouvait la voir marcher avec élégance, repousser les longs cheveux clairs vers l’arrière. Lui-même ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait…Lui qui ne faisait jamais attention à rien, ne remarquait jamais rien et qui devait subir pour cela les moqueries de ses camarades garçons qui ne comprenaient pas son manque d’intérêt total pour la gente féminine mais cette fille-là…N’était pas seulement jolie, cette fille-là réveillait quelque chose en lui. Et alors qu’il la contemplait tandis qu’elle marchait élégamment, quelques vers lui revinrent en tête « Mignonne, allons voir si la rose »… Il se plongea dans ses pensées et s’imagina longuement emmenant cette fille dans les bois, cueillir des roses sauvages et il lui réciterait tous les poèmes qu’il connaissait et lorsqu’il aurait fini, elle en redemanderait et il lui réciterait les siens alors, ceux qu’il avait écrit dans l’intimité de sa chambre ou de sa vie. Et elle les adorerait… « Qui ce matin avait déclose… »

     

    « Bien pour demain, lisez-moi l’extrait suivant et faîtes en moi une analyse complète ! Voici vos copies de la semaine précédente ! ». La voix du professeur sortit Léon de sa surprise alors que les copies vagabondaient de main en main, chacun prenant la sienne. Lorsque Léon reçu son interrogation, il jeta un rapide coup d’œil à la note : Un neuf ! Il la rangea dans son sac sans plus y faire attention que cela et sortit de la classe, les pieds lourds. C’était la fin de la journée, il allait rentrer chez lui…Tant mieux ou tant pis…Il ne savait pas trop. Les gens ne le comprenaient tellement pas. Ses camarades un peu rustres et brusques se moquaient sans arrêt de lui, ils avaient beau être également des latin-grec, ils ne comprenaient pas la passion de Léon et à la maison, c’était son père qui refusait de le comprendre. Son père qui jugeait que sans mathématique, on n’aboutissait à rien dans la vie ! Il disait que son fils ne s’en sortirait jamais si il restait ainsi plongé dans la littérature…Il n’en voyait pas l’intérêt, n’en n’avait jamais vu l’intérêt et rejetait toute forme de culture…C’était ce qui le rendait si aigri et Léon pensait souvent que si son père avait pris la peine d’ouvrir un petit bouquin de philo, de lire un texte de grec, il aurait compris que la beauté de la vie ne réside pas dans les chiffes mais dans les lettres et que le bonheur est à porté de main, il suffit de se relever et de profiter de chaque instant présent : « Carpe Diem quam minimum credula postero »…Ah si son père avait pu lire Horace, Platon, les stoïciens, ils ne seraient plus comme ces gens que Léon croisait : jamais heureux, toujours pressé, à râler sur tout…Léon n’était pas comme cela : Léon souriait, il souriait toujours et les gens ne comprenaient pas que Léon, grâce à ses livres,  réussissait à trouver le bonheur dans le simple fait de respirer…

     

    Il était enfin arrivé chez lui, après un court trajet en métro durant lequel il avait griffonné quelques vers dans son carnet. Il poussa alors la porte et s’en alla directement dans le salon saluer la famille. Sa belle-mère, qui était femme au foyer, était assise par terre devant la table du salon et aidait la petite sœur à faire ses devoirs. Il alla les embrasser toutes les deux avant de monter saluer son père dans son bureau. Il toqua à la porte et pénétra à l’intérieur de lieu. Il s’avançait toujours prudemment dans cette pièce, toujours inquiet et mal à l’aise d’être dans un repère aussi cartésien, aussi peu ouvert, aussi peu accueillant et aussi froid ! Il alla embrasser son père qui lui ébouriffa les cheveux et lui demanda d’attendre quelques instants qu’il puisse finir de tracer cette droite sur son plan. Léon obéit et patienta calmement.

     

    - Alors fiston, comment s’est passé l’école ? 

    -  Bien… J’ai eu Un 9 en français et un 8,5 en version grecque ! 

    - Léon…ça ne te mènera à rien tout ça… 

    - Papa, on ne va pas reprendre cette discussion ! 

    - Certes, va, va donc retrouver tes livres…Ils te perdront, fiston ! 

     

    Léon ne répondit pas et se contenta de quitter cette pièce au plus vite pour aller s’enfermer dans sa chambre. Il voulut se mettre directement à ses devoirs mais ce texte de Montaigne lui parut soudainement flou et cette lecture tellement secondaire en même temps que s’inscrivait dans son esprit l’image de cette fille à laquelle il n’avait jamais parlé et à laquelle il ne parlera jamais. Il la revoyait marcher, délicatement. Il revoyait son long visage aux traits marqués, sa ronde mâchoire, ses yeux bleus pétillants qu’il avait eu, un jour, la chance de croiser, ses longs cheveux blonds se tordre jusqu’au bas de son dos, il revoyait ses hanches, son sourire, ses bras, ses seins…Tout s’imposa soudainement en lui comme une évidence…Il se mit à rêver un peu…Les joies de l’adolescence et des premières amours…Peut-être n’était il pas si différent des autres. Il sourit alors, abandonna sa chaise de bureau et s’allongea sur son lit. Il ferma longtemps les yeux, imaginant à nouveau la silhouette gracile de cette fille et il se mit à réciter doucement :

     

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avait déclose
    Sa robe de pourpre au Soleil,
    A point perdu cette vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vôtre pareil.

    Las ! Voyez comme en peu d'espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las ! Las ses beautés laissées choir !
    Ô vraiment marâtre Nature,
    Puis qu'une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez, mignonne,
    Tandis que votre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez, cueillez votre jeunesse :
    Comme à ceste fleur la vieillesse
    Fera ternir votre beauté.*

     

    * RONSARD, "Mignonne, allons voir si la rose", Amour

     

    Chapitre troisième dans la semaine ;)


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :